Pour nous

Elle prononce des paroles écrites de
chansons et de danse, tâtonnant sur
une phrase occasionnelle. Une page après
l’autre, sans se presser jusqu’à la fin.

Je suis allongée dans son ombre, un petit
vide de paix isolé, des beaux mais durs rayons
du soleil. Tête sur ses jambes croisées, je
ne peux m’empêcher de chercher la
clarté dans son regard chaleureux.

Elle est si gracieuse dans sa robe de
tournesol, s’étalant sur l’herbe autour de
nous. Ses boucles serrées rebondissent
légèrement sur ses épaules à
chaque fois qu’elle tourne la tête.

Elle sent le lilas et la mousse, la pinède
et le miel. Elle pourrait faire pousser
des jardins dans des champs d’herbe
flétrie. Des brins mourants qui
reviennent à la vie, un par un.

Tu penses que c’est l’été, n’est-ce pas ?
Juin, juillet, peut-être août. Ça va, nous
avons prétendu que ce l’était aussi. Nous
l’avons presque fait nous-mêmes.

En réalité, le soleil éclatant est
accompagné d’un air glacial, du genre
assez froid pour saler les trottoirs
givrés, mais pas assez froid pour
accompagner une neige durable.

Et plutôt, ses boucles s’agitent dans le
vent hurlant, sa robe tournesol est
manchonnée et superposée, et une
veste bien isolée drape ses épaules.
Ma veste, d’ailleurs.

Je sens mes yeux se fermer alors que
le poids du monde est balayé de mes
épaules dans l’air glacial de février, ses
mots encore clairs et mélodieux dans
mon esprit. La chair de poule remonte le
long de mon cou. Du froid, bien sûr.

Pendant un instant, j’oublie que nous ne
sommes pas seules, pas isolées dans notre
propre petit monde de littérature et de paix.
Les rires et le bruit des pas qui courent sur
l’herbe semblent si éloignés, si feutrés,
si loin de ce qu’elle a créé pour nous.

Je sombre presque dans un sommeil
serein avant d’être réveillée par la sonnerie
métallique de la cloche et le bruit des
pas plus lourds sur l’herbe.

L’autorité se tient face à la créativité,
signalant le retour à des bureaux identiques
et à des dissertations structurées, un
espace fabriqué parfaitement pour la
conformité et la collectivité. L’un comme
l’autre, personne pour soi.

Lorsque nous quitterons l’herbe et que nous
passerons à travers le seuil des passions
expirantes, nous serons obligées de revenir
au monde réel. Mais pour l’instant, je
pense que je vais rester dans le nôtre
quelques secondes de plus.

 

 

 

Ce poème est le gagnant du mois de mars 2023 du prix C'est tout un poème ! et s'inspire de l'exercice de création proposé par Britta Badour, « Answering Machine ».

Voici ce que notre éditrice Annie Lafleur en a pensé :

« Ce magnifique poème de Brianna Dyck nous fait vivre un moment d’intimité rempli de sensations, de pulsations et de beauté végétale. Entre le rêve et la réalité, il existe un clignement d’œil, un souffle qui se change en tempête : c’est l’effet papillon. Une écrivaine est née. »

Brianna Dyck

Brianna Dyck

Année: 5e secondaire / 11e année
École des Pionniers-de-Maillardville
Port Coquitlam, BC

« En me forçant à réfléchir à des moments précis du passé, je n'ai pu penser qu'à de petits moments qui m'ont rendue heureuse plutôt qu'à des événements qui ont changé ma vie. J'ai donc basé ce poème sur le temps que j'ai passé en récréation à l'école primaire, en explorant les thèmes de l'amitié et de l'identité queer. »

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